Lawperationnel - Schaeffer Avocat > Blog > Encyclopédie > Le travail dissimulé est-il un délit contagieux?

A propos du recours aux services d’une personne passible du délit de travail dissimulé à l’occasion de l’arrêt de la Cour de Cassation, chambre criminelle du 5 novembre 2002.

Pour les Entreprises qui ont recours à une main d’œuvre importante sur leurs chantiers, la question se pose de savoir ce qu’elles doivent faire pour être en règle avec le Droit applicable et éviter de se voir incriminées lorsqu’une infraction au droit du travail est commise à leur insu chez un de leurs sous-traitants.

Ce problème apparaît chaque fois qu’une nouvelle réglementation sociale apparaît.

C’est notamment le cas depuis la loi 91-1383 du 31 décembre 1991 qui a mis en place ou élargi arsenal de mesures destiné à prévenir et sanctionner le travail « clandestin » et la loi n° 97-210 du 11 mars 1997, prise alors que le gouvernement français de l’époque, érigeait «en priorité nationale la lutte contre toute les formes de dissimulation d’emploi et de trafic de main-d’œuvre » dont la lutte contre le « travail clandestin » devenu à cette occasion « travail dissimulé ».

A ce titre, le Code du Travail dans lequel ces lois sont codifiées, sanctionne tout d’abord dans son article L324-11 le donneur d’ordre qui n’a pas procédé aux divers contrôles définis dans ses articles R 324-4 et R324-7 du Code du Travail avant de passer commande.

Par ailleurs, dans un autre article, le L324-9, il dispose également en ce qui concerne les donneurs d’ordres, après une interdiction générale du travail dissimulé, « est également interdit d’avoir recours sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé ».

Cette obligation et cette interdiction sont assorties de sanctions pénales, financières et professionnelles. Mais si les obligations sont définies de façon précise, il semble au vu d’une jurisprudence de la Cour de Cassation de novembre 2002 que la seconde peut se prêter à une interprétation plus extensive.

1)quatre situations où un donneur d’ordre peut voir sa responsabilité pénale engagée.

 

Pour simplifier, distinguons les 4 situations dans lesquelles des donneurs d’ordres, maîtres d’ouvrages et entreprises, peuvent voir leur responsabilité pénale engagée au titre d’un recours indirect à du travail dissimulé:

a) La première correspond au non-respect de l’article L324-14du Code du Travail si les documents définis dans ces articles R324-4 et R324-7 n’ont pas été demandés et obtenus par le donneur d’ordres avant que la commande soit passée. Dans ce cas et ce cas seulement le délit prévu à l’article L324-14 du Code du Travail est consommé.

b) Deuxième cas: le prétendu sous-traitant n’est en fait qu’un fournisseur de main d’oeuvre. Le délit de travail dissimulé est commis dans le cadre d’une fausse sous-traitance. Le juge relève alors que le donneur d’ordres est en fait le véritable employeur des salariés et que c’est sciemment qu’il utilise celui ou ceux qui exercent le travail dissimulé. Le prétendu donneur d’ordres sera dans ce cas passible de plusieurs délits dont celui de l’article L324-9 du Code du Travail.

c) Troisième situation: l’enquête menée par l’inspection du travail, établit que le donneur d’ordres tout en ayant respecté les exigences de l’article 324-14 a eu effectivement connaissance de ce que son vrai sous-traitant n’était pas en règle, voire même qu’il l’a encouragé dans cette voie. Dans ce cas, le caractère intentionnel de l’infraction à l’article L324-9 alinéa 2 du Code du Travail et la volonté de fraude sont démontrés. Les conditions du délit sont incontestablement réunies.

d) Dernière situation: Le donneur d’ordres a rempli son obligation légale de contrôle préalable et il n’est pas établi qu’il avait connaissance du délit de travail dissimulé commis par son cocontractant mais, dans son intime conviction, le juge estime qu’il aurait bien dû se douter, à l’occasion de la supervision du travail effectué par son sous-traitant, que ce dernier pouvait ne pas être en règle vis à vis de certains salariés et en conséquence effectuer une enquête plus approfondie.

2)La jurisprudence de la Cour de Cassation 5 novembre 2002

L’arrêt de la Cour de Cassation du 5 novembre 2002 valide ainsi un arrêt qui a condamné une entreprise de bâtiment pour n’avoir pas recherché si l’entreprise de peinture qui travaillait sur son chantier avait respecté ses obligations sociales à l’égard de nouveaux ouvriers de son équipe.

Il ne s’agit pas là d’un arrêt de principe. Mais son intérêt est de faire réfléchir, à l’occasion d’un arrêt de routine sur l’intime conviction du juge du fond, sur un certain contexte idéologique qui sous-tend ce type de condamnation.

Notons tout d’abord qu’il est très couramment admis dans les sphères politiques, administratives et médiatiques et dans l’opinion publique qu’une entreprise, du seul fait qu’elle bénéficie quelque part économiquement du délit de son cocontractant, aurait une responsabilité de principe au titre des dommages que ce dernier pourrait causer. Dès lors que c’est à l’occasion du travail fourni par elle que le délit a pu avoir lieu, ne serait-il pas juste et satisfaisant de la faire payer? Cette « évidence » fait partie de l’air du temps, de cet environnement français dans l’ensemble si défavorable aux entreprises que le législateur a fini par s’en inquiéter tout récemment. La justice en est forcément imprégnée même si consciemment elle veille a garder son impartialité.

Il existe également une autre évidence idéologique tout aussi implicitement présente encore que moins ouvertement formulée: Face à « la lutte contre toute les formes de dissimulation d’emploi et de trafic de main-d’œuvre » érigée en « priorité nationale », l’entreprise n’aurait-elle pas un « devoir citoyen » de prévenir ces délits dès lorsqu’ils pourraient être commis par des cocontractants travaillant pour elle ? L’entreprise est déjà assujettie à de nombreux « devoirs citoyens »: certains sont obligatoires comme d’assumer le rôle de percepteur fiscal et de cotisations sociales? d’autre sont volontaires ou répondent à une aspiration sociale. Pourquoi n’assumerait-elle donc pas également celui d’inspecteur du travail lorsque la pure règle légale s’avère inefficace ?

Ce substrat idéologique et cette méfiance vis à vis de l’entreprise est propice à toutes les contagions pénales. Il devient évident pour ceux qui en sont imprégnés que l’immixtion d’une entreprise dans la gestion d’une autre est chose très normale. A ne pas savoir comment s’organise un vrai chantier mais n’y retenir que le point de vue subjectif des salariés, il leur permet de confondre contrôle du travail effectué avec gestion de la main d’oeuvre qui l’effectue. Ne pas s’immiscer dans la gestion administrative et sociale des entreprises dont on contrôle la qualité du travail devient donc pour eux une volonté délibérée et coupable de ne pas savoir.

La puissance de ces idées est d’autant plus redoutable qu’elles se présentent comme des truismes. Peu importe que l’immixtion dans la gestion administrative et sociale de l’ensemble de ses cocontractants, avec les procédures et l’organisation requises pour le faire, ne soit ni normale pour les entreprises ni requis par la loi. Les certitudes sociales et cette méfiance essentielle à l’égard des acteurs économiques, notamment dans le bâtiment, la maintenance et d’autres secteurs de main d’oeuvre, créent le Droit par la jurisprudence qu’elles secrètent.

Les conséquences pénales et professionnelles ( amendes, interdiction d’exercer, interdiction de soumissionner aux marchés publics etc…) peuvent en être très lourdes. Ne pas tenir compte de cette réalité peut-être donc à terme judiciairement suicidaire . Faire ce qu’elle prescrit est peut-être économiquement moins suicidaire mais très pénalisant certainement.

A vous de choisir.

 

AJ Darmon 2003

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