Le traitement des sûretés réelles en période de procédure collective
Quand une entreprise bascule en procédure collective, à savoir en sauvegarde, redressement, liquidation, la question des sûretés réelles, du nantissement, de l’hypothèque et des privilèges devient centrale : suspension des poursuites individuelles, gel des inscriptions nouvelles, nullités de la période suspecte, et in fine, répartition du prix au profit des créanciers privilégiés.
Ainsi, cet article fera le point, avec appuis textuels et jurisprudentiels récents, sur le sort des sûretés dans ces procédures.
Sommaire :
- I. Introduction aux sûretés réelles
- II. Effet de la procédure collective
- III. Règles de réalisation des sûretés
- IV. Cas jurisprudentiels récents
- V. Conclusion
I. Introduction aux sûretés réelles
Le nantissement (sur un meuble incorporel, une créance, un fonds de commerce…) est une sûreté réelle qui accorde au créancier un droit de préférence, et souvent un droit de suite sur le bien nanti :il est défini par le Code civil à l’article 2355 concernant le nantissement de créances.
Quant à l’hypothèque, celle-ci est une sûreté réelle immobilière sans dépossession, elle grève un immeuble pour garantir une dette, au bénéfice du droit de préférence et de suite du créancier. Les textes issus de la réforme des sûretés (ordonnance du 15 septembre 2021) en précisent aujourd’hui le régime, et listent d’anciens privilèges immobiliers spéciaux, des hypothèques légales spéciales à l’article 2402 du Code civil.
Ces sûretés organisent l’ordre des paiements sur le prix du bien affecté. En pratique, elles conditionnent la capacité du créancier garanti à être payé par préférence lors de la vente du bien nanti ou hypothéqué, y compris au cœur des procédures collectives, sous réserve des règles spécifiques de ces procédures.
II. Effet de la procédure collective
Suspension des poursuites et gel des actions individuelles
L’ouverture de la procédure (sauvegarde/redressement) suspend ou interdit les actions en justice de la part des créanciers dont la créance est antérieure, ainsi que les voies d’exécution. Les mêmes principes valent en liquidation. C’est la pause collective nécessaire à l’élaboration d’un plan ou à la réalisation ordonnée des actifs.
Corrélativement, le cours des intérêts est arrêté pour les créances antérieures, sauf exceptions légales.
Enfin, le gel des inscriptions est régi par l’article L. 622-30, prohibant les inscriptions d’hypothèques/nantissements postérieures au jugement d’ouverture, mesure régulièrement rappelée par la jurisprudence.
Contester une sûreté antérieure : nullités et actions (paulienne/subrogatoire)
La contestation d’une sûreté antérieure passe d’abord par les nullités de la période suspecte, comme l’indique l’article L. 632-1 du Code de commerce, qui frappent notamment les sûretés constituées pour garantir des dettes antérieures pendant cette période. Il faut savoir que la Cour de cassation vérifie strictement ces conditions.
Quant aux actions individuelles des créanciers (paulienne/subrogatoire), elles sont en principe neutralisées par la procédure. En effet, il appartient aux organes (mandataire/liquidateur) d’air dans l’intérêt collectif des créanciers. La doctrine et la jurisprudence confirment ce monopole fonctionnel du mandataire/liquidateur pour ces actions une fois la procédure ouverte.
III. Règles de réalisation des sûretés
Priorités de paiement entre créanciers
Lorsque le bien grevé est cédé en période d’observation, ou dans un plan (L.622-8) ou dans le cadre d’une cession/liquidation (L. 642.12), une quote-part du prix est affectée au bien grevé et consignée. Ainsi, les créanciers bénéficiaires de sûretés réelles (hypothèques ou nantissements) sont alors payés sur ce prix, suivant l’ordre de préférence entre eux, et sous réserve du privilège des salaires qui prime sur le prix dans les limites légales.
Le plan peut aussi prévoir la substitution de garantie comme par exemple le remplacement d’une sûreté par un autre présentant des avantages équivalents, sur décision du tribunal en cas de désaccord (article L. 626-22).
Rôle des organes de la procédure
En liquidation, le liquidateur réalise les actifs, règle l’ordre entre créanciers sur le prix est procède à la répartition, sous le contrôle du juge de l’exécution. Des délais s’imposent, notamment pour la réalisation de biens grevés de gage ou objet d’un droit de détention, comme l’indiquent les articles L. 642-1s et L. 642-18).
Jusqu’au paiement complet du prix, le droit de suite des créanciers inscrits est limité à certaines hypothèses. En effet, le paiement emporte purge des inscriptions, protégeant ainsi le cessionnaire et fluidifie la transmission des actifs.
IV. Cas jurisprudentiels récents
Nullités/limites de sûretés en période suspecte
La chambre commerciale rappelle régulièrement la nullité des sûretés constituées pendant la période suspecte pour dettes antérieures, comme les infirmations, les annulations d’hypothèques ou de nantissements, illustrant la vigilance des juges sur l’égalité des créanciers et l’intégrité du gage commun.
Inscription postérieure à l’ouverture
Les juridictions d’appel et de cassation sanctionnent l’irrégularité d’inscriptions d’hypothèques postérieures à l’ouverture (L. 622-30), avec pour conséquence la neutralisation de la sûreté opposable à la procédure.
Solutions opérationnelles : rééchelonnement, transfert de charge et conversion
Au stade du plan/cession, les textes permettent des aménagements tels qu’une affectation de la quote-part du prix, une substitution de garantie, voire transfert conventionnel de la charge de la sûreté au cessionnaire lorsque les conditions sont réunies. La pratique et la doctrine commentent en permanence ces mécanismes. (L. 642-12 ; L. 626-22)
V. Conclusion
Dès lors, en procédure collective, la sûreté réelle demeure un atout majeur, mais son efficacité est reconfigurée par des règles d’ordre public que nul ne peut déroger : suspension des poursuites, gel des inscriptions, nullités de la période suspecte, et répartition encadrée du prix. Les créanciers privilégiés (hypothèques, nantissements) conservent leur rang sur le produit des cessions, sous réserve des super-privilèges et des modalités de la procédure.
Pour sécuriser vos positions, constitutions, contestations ou réalisation d’une sûreté, l’appui d’un conseil rompu aux procédures collectives s’avère déterminant.


