Le délit de banqueroute : responsabilité du dirigeant et conséquences pénales
La banqueroute est un délit pénal propre au droit des entreprises en difficulté. Elle vise les comportements frauduleux ou gravement déloyaux commis à l’occasion d’une procédure collective : il s’agit ici de redressement ou liquidation judiciaires, lorsque l’entreprise est en cessation des paiements.
Dès lors, les dirigeants de droit ou de fait peuvent voir leur responsabilité pénale engagée, avec à la clé des sanctions pénales lourdes telles que l’emprisonnement, l’amende ou encore les interdictions.
L’objectif de cet article est de préciser la définition légale, les conditions, les actes reprochables, la distinction avec d’autres infractions financières, puis d’exposer la responsabilité du dirigeant et la procédure judiciaire.
Sommaire :
- I. Définitions et caractéristiques du délit
- II. Actes reprochables : ce que vise le Code
- III. Responsabilité du dirigeant
- IV. Procédure judiciaire : du signalement au jugement
- V. Conclusion
I. Définitions et caractéristiques du délit
La banqueroute suppose l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires. Autrement dit, l’entreprise est en cessation des paiements au sens de l’article L631-1 du Code de commerce qui mentionne << l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible >>. Ainsi, l’infraction est liée à cette procédure dès lors qu’on ne parle pas de banqueroute hors cadre de procédures collectives.
Le délit de banqueroute est régi par le Code de commerce, aux articles L654-1 à L654-7. En effet, le texte précise à qui s’applique l’infraction (commerçants, artisans, agriculteurs, professions indépendantes, ainsi que toute personne qui, en droit ou en fait, dirige ou liquide une personne morale de droit privé) et énumère les manquements constitutifs du délit. Les peines de base sont de 5 ans d’emprisonnement et 75 000e d’amende (portées à 7 ans et 100 000e d’amende lorsque l’auteur est dirigeant d’un prestataire de services d’investissement). Il faut noter que des peines complémentaires telles que des interdictions, des privations de droits peuvent s’ajouter.
II. Actes reprochables : ce que vise le Code
Le Code de commerce précise, à l’article L654-2, les comportements qui caractérisent la banqueroute. Ces actes sont variés mais ont un point commun : ils traduisent une volonté de tromper les créanciers ou de retarder artificiellement la constatation de la cessation des paiements.
En premier lieu, la banqueroute peut résulter de la dissimulation d’actifs ou du détournement de biens appartenant à l’entreprise. Un dirigeant qui soustrait du patrimoine social des sommes d’argent, des marchandises ou tout autre élément d’actif commet un acte frauduleux qui aggrave la situation des créanciers. De la même manière, l’augmentation frauduleuse du passif, par exemple la création de dettes fictives, est constitutive de banqueroute, car elle fausse la représentation de la réalité financière de l’entreprise.
Ensuite, le texte incrimine également les comportements liés à la comptabilité. Ainsi, la tenue d’une comptabilité fictive ou l’altération volontaire des documents comptables permettent de masquer les véritables opérations de l’entreprise et entravent tout contrôle par les organes de la procédure. Il en suit que l’absence de comptabilité, tout comme une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, est elle aussi visée. Ces manquements comptables sont considérés comme particulièrement graves, car la comptabilité constitue le premier outil de transparence au profit des créanciers.
Enfin, la banqueroute peut être caractérisée lorsque le dirigeant a eu recours à des moyens ruineux pour se procurer des fonds, ou lorsqu’il a multiplié les actes ayant pour seul but de retarder l’ouverture de la procédure collective. Dans ces situations, l’entreprise est maintenue artificiellement en vie au prix d’un endettement supplémentaire, ce qui accentue inévitablement les pertes des créanciers. Il faut noter que la jurisprudence insiste sur le fait que ces comportements doivent être rattachés à la période d’insolvabilité. Dans la plupart des cas, la démonstration d’une intention frauduleuse est nécessaire. Toutefois, certains comportements, notamment en matière de comptabilité, peuvent suffire à eux seuls à établir la mauvaise foi du dirigeant, tant ils révèlent une désorganisation volontaire et déloyale.
Attention, la banqueroute n’est pas l’abus de bien sociaux, qui sanctionne l’usage contraire à l’intérêt social des biens de la société par ses dirigeants (articles L241-3 et L242-6 du Code de commerce), ni l’escroquerie (article 313-1 Code pénal), ni le blanchiment (article 324-1 du Code pénal). Il faut toutefois noter que ces textes peuvent se cumuler si les faits le justifient.
III. Responsabilité du dirigeant
Sont visés les dirigeants de droit tels que le gérant, le président, l’administrateur, et de fait (celui qui dirige sans titre). Le texte couvre aussi le représentant permanent d’un dirigeant personne morale. Cette extension permet dès lors d’inclure toute personne qui assume effectivement la conduite des affaires sociales, même sans mandat formel, afin d’éviter que des acteurs informels échappent à la responsabilité du dirigeant.
Concernant les circonstances aggravantes et les peines, le régime de base (5 ans/75 000e) est aggravé à 7 ans/100 000e pour les dirigeants de prestataires de services d’investissement. A ces sanctions pénales s’ajoutent des peines complémentaires : interdiction de gérer, privation de droits civiques ou civils, exclusion des marchés publics… Aussi, les personnes morales peuvent également être condamnées à des peine prévues par le Code pénal (amende, interdictions, dissolution).
Il existe des cas particuliers. En effet, le statut salarié du dirigeant ne l’exonère pas : ce qui compte, c’est l’exercice effectif du pouvoir de direction. De même, le dirigeant de fait encourt les mêmes peines. Même si un administrateur provisoire ou des organes de procédure sont désigné, cela ne neutralise pas la responsabilité pénale des actes antérieurs (ou postérieurs s’ils sont commis par la dirigeant restant en place).
IV. Procédure judiciaire : du signalement au jugement
Le point de départ est souvent un signalement au procureur de la République. Les administrateurs et mandataires judiciaires ont une obligation légale d’aviser sans délai le parquet de tout crime ou délit dont ils ont connaissance (article L814-12 du Code de commerce). Plus largement, l’article 40 du Code de procédure pénale impose aux autorités publiques de dénoncer les infractions dont elles prennent connaissance. Sur la base de rapports, pièces comptables, auditions, le parquet ouvre une enquête, puis le cas échéant, une information judiciaire avant la citation devant le tribunal correctionnel.
Aussi, dans la procédure collective, le juge-commissaire veille au déroulement rapide et à la protection des intérêts en présence ; le mandataire judiciaire représente les créanciers et centralise les informations financières (vérification des créances, collecte des pièces), qui nourrissent parfois les investigations pénales. Les organes de la procédure (administrateur, mandataire, liquidateur, représentant des salariés, contrôleurs) peuvent participer au débat et, dans certains cas, se constituer partie civile.
V. Conclusion
Ainsi, la banqueroute sanctionne les comportements frauduleux ou gravement déloyaux commis à l’occasion d’une procédure de redressement ou de liquidation d’une entreprise en cessation des paiements. Si le périmètre des auteurs est large (dirigeants de droit ou de fait), les actes incriminés sont eux précisément listés (détournements d’actifs, passif frauduleux, comptabilité fictive, etc.) et les sanctions pénales peuvent être lourdes, avec des peines complémentaires impactant durablement la carrière d’un dirigeant. En pratique, une défense pénale efficace suppose d’anticiper les risques dès l’ouverture de la procédure collective, de sécuriser la comptabilité, et si nécessaire, d’être assisté par un avocat rompu au droit pénal des affaires et au contentieux des entreprises en difficulté.


