Problème des contributions respectives des concubins
La vie commune d’un couple en état de concubinage, surtout si elle s’est prolongée assez longtemps, entraîne nécessairement une confusion des ressources et des dépenses entre les concubins.
Lors de leur séparation, il n’est donc pas rare que le concubin ayant participé, par son argent propre ou par son travail, à l’enrichissement de son ex-compagnon, sollicite une indemnisation, voire une part des bénéfices réalisés par l’autre.
Le concubin prétendument lésé dispose dans ce cas de quelques moyens juridiques qui nécessiteront généralement de sa part des recours judiciaires.
Existence d’une société créée de fait
La définition de la « société » résulte de l’article 1832 du Code civil qui dispose que :
« La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.
Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne.
Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »
Les dispositions de cet article sont applicables à la société créée de fait, et cela en application de l’article 1873 du Code civil.
L’existence de la société de fait ne saurait donc découler de la seule constatation du concubinage (Com, 25 juil. 1949, JCP 1950, II, 5798 : « la cohabitation même prolongée de personnes qui ont vécu en époux, ont confondu leurs biens, ont participé aux dépenses de la vie commune, ne suffit pas à donner naissance entre elle à une société. »)
Pour que la création de fait d’une société entre les parties puisse être constatée, il faut que soient réunis les éléments habituels du contrat de société tels qu’ils résultent de l’article précité, à savoir :
– les apports par chaque associé qui peuvent être effectués en biens ou en industrie (la jurisprudence estime par exemple que le travail non rémunéré et à temps complet effectué par un concubin est constitutif d’un apport).
– l’intention des associés de participer aux bénéfices et aux pertes,
– l’affectio societatis, c’est-à-dire la volonté de s’associer qui ne peut simplement découler de la vie en commun ; selon la jurisprudence, « l’affectio societatis implique le concours à la gestion, le pouvoir de contrôle et la critique, la participation à l’administration » (Paris, 11 juillet 1961 : S. 1953, 2, 81).
La preuve de l’existence de ces éléments constitutifs est libre.
La reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait peut permettre à l’un des ex-concubins de prétendre à une partie des bénéfices réalisés par l’autre.
Existence d’un quasi-contrat
Si les conditions de la société créée de fait ne sont pas réunies, il est possible de faire appel à d’autres notions :
– La gestion d’affaires : il résulte en effet de l’article 1375 du Code civil que celui dont l’affaire est administrée par autrui a l’obligation, lorsque cette affaire a été bien administrée, d’indemniser le gérant de tous les engagements personnels qu’il a pris, et de lui rembourser toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu’il a faites (il s’agit d’une sorte de mandat tacite).
– L’enrichissement sans cause : l’action en répétition du fait d’un enrichissement sans cause repose, d’après la jurisprudence, « sur le principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui (…) dans tous les cas où le patrimoine d’une personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d’une autre personne, celle-ci ne jouirait pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit ». (Cass. civ., 12 mai 1914 : DP 1918, 1, p. 41, note Naquet. – Cass. civ., 2 mars 1915, 1re esp. : DP 1920, 1, p. 102).
La Cour de cassation, dans un arrêt du 26 janvier 1972, a précisé : « l’action de in rem verso est ouverte à celui qui, par un fait qui lui est personnel et dont il est résulté pour lui un appauvrissement, a fait entrer une valeur dans le patrimoine d’un autre, sans que celui-ci puisse se prévaloir d’une juste cause d’enrichissement ».
La jurisprudence accueille favorablement l’action de « in rem verso » exercée par un concubin lorsque ce dernier justifie avoir subi un appauvrissement alors que son partenaire bénéficiait d’un enrichissement corrélatif sans cause (Cass. 1ère Civ., 15 oct. 1966 : Bull. civ. I, n° 357).
La jurisprudence a pu toutefois estimer dans certains cas d’espèce que la participation, en numéraire ou en industrie, de l’un des ex-concubins au développement du patrimoine de l’autre, devait s’analyser en une forme de contribution normale aux charges de la vie commune, n’ouvrant dès lors droit à aucune indemnisation.