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La résiliation d’un marché au forfait

Le Code Civil autorise le maître d’ouvrage à résilier unilatéralement et à sa convenance un marché à forfait à charge pour lui d’indemniser l’entrepreneur.

Cette règle n’est pas d’ordre public et, les parties peuvent y déroger contractuellement.

Encore faut-il qu’elles parviennent à un accord et que la porté de la dérogation soit suffisamment claire.

Etude de cas:

Un maître d’ouvrage souhaite faire édifier un nouvel entrepôt par un entrepreneur. Les deux parties sont d’accord sur un prix forfaitaire ferme et définitif mais le maître d’ouvrage veut pouvoir résilier le marché de plein droit à sa convenance et sans indemnité y compris en l’absence de faute de l’entrepreneur alors que ce dernier veut lui interdire toute possibilité de résiliation sans faute.

La clause envisagée par chacune des parties est-elle utile et pourrait-elle légalement produire effet si elle faisait finalement partie intégrante du contrat ?

Rappel des principes:

Les clauses souhaitées par chacune des parties n’ont d’utilité que s’il existe, pour le type de contrat considéré, une règle contraire aux solutions qu’elles entendent faire prévaloir.

Pour le maître d’ouvrage, il s’agirait d’une règle lui interdisant de résilier le marché à sa convenance ou l’y autorisant, lui imposerait en contrepartie d’indemniser l’entrepreneur. Pour l’entrepreneur, il s’agirait d’une règle qui autoriserait le maître à résilier le contrat même en l’absence de faute.

Or la résiliation d’un marché à forfait fait effectivement l’objet d’une réglementation particulière en droit français.

L’article 1794 du Code Civil autorise le maître d’ouvrage à résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait qu’il a conclu même si l’ouvrage est déjà commencé et sauf pour lui à dédommager l’entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise.

Ainsi dans le cadre d’un marché à forfait, le maître peut prononcer, sans recours au juge, la résiliation dudit marché à sa convenance, y compris en cours d’exécution, sans avoir aucunement à justifier d’un motif.

La seule limite imposée par la jurisprudence est l’interdiction de résilier le marché alors qu’il serait pratiquement achevé et, a fortiori, alors que le maître aurait été mis en demeure de recevoir l’ouvrage.

Cela étant, cette liberté a un prix pour le maître. En effet, il doit alors payer à l’entrepreneur l’ensemble des dépenses que ce dernier aura engagées tant de main d’œuvre que de matériaux, de matériels, y compris le montant des frais d’amortissement de ces derniers, que pour couvrir les frais généraux supportés en relation avec le marché ainsi que tout le profit que l’entrepreneur aurait réalisé du fait de l’exécution du contrat.

Les juges considèrent qu’en outre, l’entrepreneur peut se prévaloir d’un préjudice moral dès lors, par exemple, que la résiliation constitue la manifestation publique d’un manque de confiance.

Il apparaît donc qu’une clause stipulant simplement que le maître d’ouvrage pourra résilier de plein droit à sa convenance le marché à forfait n’a pas d’intérêt pour le maître puisque ce droit résulte de la loi même.

En revanche, l’importance des contre-parties prévues par la loi à ce droit de résiliation rend du plus grand intérêt pour lui la stipulation d’une clause précisant qu’une telle résiliation à sa convenance n’ouvrira droit à aucune indemnité au profit de l’entrepreneur.

A l’opposé, l’entrepreneur a un intérêt certain à voir stipuler une clause faisant échec au droit de résiliation que le maître tient de l’article 1794 du Code Civil car, outre que l’indemnisation prévue par ce texte n’est pas équivalente au prix du contrat, la mise en œuvre de son droit s’avérera le plus souvent longue et conflictuelle et donc coûteuse.

Mais les parties peuvent-elles déroger aux règles de l’article 1794 du Code Civil ?

Cet article n’étant pas d’ordre public, les parties ont, en effet, la liberté de stipuler au contrat des règles de résiliation d’un marché à forfait différentes de celles prévues par le Code Civil.

Elles peuvent ainsi exclure la possibilité pour le maître de résilier en l’absence de faute de l’entrepreneur ou, à l’autre extrême, prévoir que le maître qui résilie le marché à sa convenance ne sera tenu du paiement d’aucune indemnité au profit de l’entrepreneur.

Il reste que la porté d’une clause excluant toute indemnité au profit de l’entrepreneur est particulièrement ambigue en l’absence de précisions contractuelles complémentaires.

Sur le plan purement juridique, la seule référence à une absence d’indemnité sera interprétée en fonction de l’articulation du contrat. Dans certain cas, elle pourra même signifier que l’ entrepreneur sera privé de toute rémunération pour la réalisation de son travail interrompu à la seule convenance du maître, dans d’autres, que l’entrepreneur ne touchera rien en plus de ce qui aura été facturé par lui aux termes du contrat ou que le pourcentage d’avancement réalisé par lui à la date de résiliation.

Lorsque la clause aurait pour effet de priver l’entrepreneur du résultat de son travail, il est douteux que ce soit l’intention réelle des parties sans compter que les principes généraux du droit feront certainement obstacle à sa mise en oeuvre.

C’est pourquoi, plutôt que discuter du principe général d’exclusion de toute indemnité ou de l’interdiction de résilier, il est de l’intérêt des parties de se mettre d’accord sur les modalités de la résiliation du marché à la convenance du maître et la contrepartie raisonnable qui serait due à l’entrepreneur.

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